Le chef qui croit dans la banlieue est
On connaissait l'attirance de Jacky Ribault pour l'est parisien depuis qu'en 2018, il a ouvert l'Ours à Vincennes. Ce restaurant a été vite auréolé d'une étoile Michelin, la seconde après que le chef a obtenu en 2014 une étoile dans son autre restaurant, Qui plume la Lune (Paris 11e). Il y a quelques semaines, ce cuisinier d'origine bretonne s'est enfoncé encore plus loin vers le levant en ouvrant une brasserie, Les Mérovingiens, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Pour cette création, il s'est adjoint la collaboration d'Arnaud Baptiste, ancien candidat de l'émission Top Chef. Jacky Ribault n'a pas hésité à investir dans une vaste brasserie capable de recevoir 70 convives. Un comptoir de 31 m s'étend le long de la salle. Il accueille la pâtisserie, une cuisine d'envoi ouverte et un vaste bar le long duquel 14 personnes peuvent s'attabler sur des chaises hautes. Ce décor spectaculaire a été imaginé par Caroline Tissier et Valérie, l'épouse du cuisinier. Inspiré des Mérovingiens, il est agrémenté d'anciennes couronnes de lits à baldaquin, de lourdes cottes de mailles de 300 à 600 kg. Des pots en grès inspirés de l'époque ont été réalisés sur mesure pour servir les pichets de vin, remplis à la tireuse. La référence à cette dynastie est liée à des fouilles récentes ayant mis à jour 3 000 sépultures de l'époque mérovingienne non loin de là.
Installés dans une nouvelle construction et entourés de barres d'immeubles, Les Mérovingiens, dénotent dans cet univers de banlieue. Mais le choix de l'emplacement n'est pas dénué de fondement. Non loin de là, en bord de Seine, des demeures cossues abritent une population à fort pouvoir d'achat. Jacky Ribault connaît la ville pour l'avoir habitée plusieurs années. La fréquentation soutenue de l'établissement résume bien le paradoxe économique du département : un contexte difficile, compensé par le dynamisme d'un important tissu de PME.
Une générosité
Le ticket moyen de cet établissement (55 €) laisse rêveur, surtout lorsqu'on sait que des propositions très attractives sont développées : formule déjeuner à 20 €, petites assiettes à partager à partir de 5 €, verre de vin à partir de 3,50 €.
« Ce qui m'intéresse, c'est le produit et la générosité. »
Pour autant, beaucoup de clients se dirigent vers la carte et des propositions plus élaborées comme la lotte au barbecue, les volailles de chez Paul et Olivier Renault ou le risotto d'escargot au grué de cacao. Les équipes de cuisine s'arrachent parfois les cheveux devant les recettes. « Je suis plutôt minimaliste, assure Jacky Ribault, ce qui m'intéresse, c'est le produit et la générosité. » Le chef ne barguigne pas sur les portions. Sa générosité naturelle lui a même parfois été reprochée par d'anciens employeurs pointilleux sur les fiches techniques. Mais elle est appréciée par une clientèle qui dispose de peu de belles adresses épicuriennes dans les environs. Le résultat est au rendez-vous. Au déjeuner comme au dîner, le restaurant fait le plein à chaque service. Jacky Ribault reconnaît même qu'il doit limiter les réservations pour faire face au manque de personnel : « J'ai embauché 60 personnes pour l'ouverture. Un mois après il en reste 20 dans l'équipe qui compte 37 personnes. » La brasserie reste ouverte 7 J/7, de 9 h à 23 h et mobilise trois équipes. Le chef entend aussi ouvrir au début de l'année prochaine une boucherie rôtisserie, puis une boulangerie, des commerces simples, sans prétention, axés sur le marché.
Tout en continuant à diriger ses deux autres restaurants étoilés, il rêve déjà à la création d'une guinguette. Ce fils d'agriculteur qui, enfant, accompagnait son père sur les marchés de la région de Rennes a gardé le goût du commerce et du travail. Il reconnaît que la moindre minute d'inactivité lui pèse lourdement. Véritable baroudeur des cuisines, il a travaillé avec les plus grands : Passard, Gagnaire, Hermé. Il a exercé en Suisse, en Italie, a dirigé des cuisines de bistrots et a même été employé plusieurs années dans le groupe Bertrand où il a conduit plusieurs ouvertures en cuisine.
En 2010, il a décidé de se lancer dans la restauration gastronomique en ouvrant Qui plume la Lune. Malgré un succès auprès de la critique, le décollage de l'établissement fut lent. Pour maintenir l'adresse à flot, Jacky Ribault confesse avoir dû vendre sa maison et des œuvres d'art appartenant à son épouse. Heureusement, en 2014, six mois après avoir vendu ses derniers biens personnels, l'étoile Michelin est arrivée et la salle du restaurant s'est instantanément remplie à chaque service. « Je ne suis pas de ceux qui critiquent le Michelin, affirme le chef, et je n'ai pas peur de dire que je lui dois tout. »